Par Michel Leclerc, en collaboration avec Mathilde Crépin
Depuis quelques années, les crues printanières font les manchettes : de l’Outaouais à la Beauce, en passant par Charlevoix et la Gaspésie, on a tous vu des images de dizaines d’habitations les deux pieds dans l’eau. Pourquoi les inondations ont-elles d’importants impacts sur nous? Cela s’explique notamment par la définition du risque, qui n’existe que lorsque des éléments vulnérables à la submersion y sont exposés directement : autrement dit, pas de dommages possibles, risque nul! Cet énoncé met la table à la prévention.
De décembre à avril, un peu partout au Québec, nos rivières se couvrent de glace. Pendant ces mois d’hiver, l’écoulement et le ruissellement des cours d’eau sont affectés par un couvert de glace, aussi appelé banquise, qui se forme au gré des conditions hivernales. Au printemps, et de plus en plus souvent, au cœur de l’hiver, le gel, le dégel et les épisodes de redoux liés à l’augmentation subite des températures et des pluies abondantes provoquent régulièrement une montée des eaux souvent accompagnée d’une débâcle de la banquise et d’embâcles. Dans ces conditions d’accumulation massive de blocs de glace formant barrages, la hausse du niveau de l’eau peut atteindre plusieurs mètres en amont de l’obstruction. Cela pousse les rivières à sortir de leur lit, et à inonder le territoire avoisinant, parfois très rapidement. L’embâcle majeur et la débâcle consécutive survenus en avril 2014 sur la rivière Montmorency à la hauteur du pont multifonctionnel (sentier de motoneige) et l’affaissement de talus face à certaines résidences sont des exemples parmi d’autres de l’impact que ce genre d’évènement peut avoir sur la population locale.
D’autres cas extrêmes d’inondations ont aussi forcé l’évacuation de certaines résidences, notamment à Beaupré, lorsque la rivière Sainte-Anne du Nord est sortie de son lit dans le secteur de l’avenue Royale, en janvier 2018. Une trentaine de résidents avaient alors été évacués de façon préventive. De même, une inondation extrême découlant de fortes précipitations a aussi forcé l’évacuation de certaines résidences en plein cœur de Baie-Saint-Paul en 2010.
Force est d’admettre qu’il est difficile de prévoir quand surviendront les inondations à l’eau libre, et encore plus quand elles sont liées aux mouvements de glace, les plus problématiques dans les pays nordiques avec les 2/3 des dommages causés. La formation d’embâcles se produit le plus souvent en l’espace de quelques heures, voire beaucoup moins, et souvent la nuit, consécutivement à un redoux le jour précédent. Des efforts de prévision et de vigilance accrue sont bien sûr réalisés, notamment sur la Montmorency, mais avec des résultats parfois mitigés.
La construction en zone inondable, notamment avec l’omniprésence de sous-sol aménagés, non immunisés, complique les choses en exposant les résidents et les bâtiments à des épisodes de submersion subite, laissant peu de temps pour l’évacuation des personnes et la protection des biens essentiels. Le manque de connaissances, de données terrain précises, de cartes de zones inondables réglementées et de modèles hydrauliques fiables pour les tracer, s’explique par la complexité des données à analyser et à produire, de même que par l’immensité du territoire québécois où les rivières sont innombrables. La prévision des crues pour prévoir les urgences se trouve de plus compliquée par l’incertitude reliée à la météo ainsi qu’aux changements climatiques. Une prudence additionnelle dans l’occupation des territoires riverains est donc de mise.